Le brutalisme, l’architecture qui ne laisse pas indifférent | Design & histoire

Sommaire de cet article:

Note à lire avant toute chose: Ici, je vais parler de l'URSS et de communisme (pas uniquement mais pas mal). Ce sont des topiques qui peuvent être sujets à polémique ou déplaire à certains. C'est une période de l'histoire, point. Elle n'a pas à être censurée, tue ou oubliée. Ou au contraire, elle n'a pas à être sur-estimée. La nostalgie de l'époque soviétique est un problème différent qui n'a rien à voir avec le design ou l'architecture. Je ne cache pas mes goûts personnels pour ce type d'architecture (tout comme j'aime beaucoup l'architecture minimaliste). Cela ne signifie pas que je suis nostalgique de cette époque bien au contraire. Donc si des rageux passent par là, je vous invite à quitter cette page.

01 • C'est quoi le brutalisme?

Le brutalisme est un courant architectural qui connait son heure de gloire entre les années 50 et les années 70. C'est un style de construction qui est spécifique à l'URSS et à cette époque (fin de la 2ème Guerre Mondiale & en plein dans la Guerre Froide), l'URSS ce n'est pas tout petit puisqu'il y a 15 pays. Ce n'est pas un détail, les constructions brutalistes sont encore présentes dans ces 15 pays même si l'URSS n'existe plus depuis plus de 30 ans. Il y a aussi des constructions brutalistes ailleurs qu'en URSS comme en France ou encore au Brésil.

C'est inédit sur le blog, je vous déconseille de lire la page Wikipédia en français sur le brutalisme. Je suis assez choquée / horrifiée par le choix éditorial fait sur l'encyclopédie en ligne. Il est certes question de brutalisme cependant il n'est question quasiment que de brutalisme en occident. WTF!? Oui, il y a eu des constructions dans ce style ailleurs qu'en URSS mais clairement ne consacrer qu'un paragraphe et totalement zapper les architectes du bloc de l'est est une grosse omission proche de la censure. Par conséquent n'ayez pas la flemme de lire autre chose que Wikipédia si vous êtes vraiment curieux•se de ce mouvement (je vous mets de ressources pour creuser le sujet à la fin de cet article).

02 • Les différentes formes d'architecture en URSS d'après-guerre

Construction communiste d'après guerre - Khrushchevka & Brejnevka

Le logement accessible est l'une des bases du communisme (dès le départ en 1917). Après guerre, il y a un besoin important de loger les gens parce que la guerre a démoli une partie de l'URSS, parce qu'il y a une surpopulation, parce que les gens ont le droit à un logement décent à prix correct (dans l'idéologie soviétique). Les barres d'immeubles sont à cette époque une révolution sociale parce qu'il y a un certain confort qui diffère des baraques en bois dans lesquelles les gens vivaient. Et si vous vous souvenez de vos cours d'histoire sur la Guerre Froide, vous vous souvenez qu'il y a eu plusieurs dirigeants à cette époque et ils ont donné leur noms à des types de constructions.

D'abord, on a les Khrushchevka. L'idée est de construire vite pour pas cher en utilisant les matériaux et techniques de l'époque, notamment la préfabrication et le béton. Le format classique de la Khrushchevka est de 4 étages. Des appartements très petits (n'excédent pas les 40m²) mais avec le confort de l'époque comme le chauffage central ou la gazinière. Ensuite arrivent les Brejnevka qui sont plus durables, plus hauts aussi en ajoutant des ascenseurs. Le modèle le plus connu est l'immeuble K-7 qui représente 10% de la surface immobilière de l'URSS.

Si je prends le temps de vous parler de ces deux types de constructions c'est parce qu'elles sont encore sur-pied malgré le fait que ça ne vieillisse pas hyper bien. Lors de notre séjour dans la capitale arménienne (on y est resté un peu moins de 6 mois), on vivait entourés de Brejnevka et de Khrushchevka. Et même si j'aime le brutalisme (j'en parlerai après), ces immeubles sont un autre délire. On est arrivé à la fin de l'hiver (qui est dans l'absolu long!) et c'était assez pesant au niveau du moral. Heureusement dès les premiers rayons de soleil, les parcs au milieu des immeubles rendent le quotidien plus supportable. C'est ouf parce que tout le monde parle des bâtiments mais peu parlent de l'urbanisme qui va avec, notamment ces parcs ou jardins collectifs qui sont une vraie respiration au milieu de tout ce béton décrépi. Malgré le côté imposant des grosses barres d'immeubles, il y a une esthétique qui personnellement me plait bien. Il y a un côté assez envoutant quand on les regarde la nuit avec les lumières des gens qui s'allument et qui s'éteignent. Vous voulez un détail à la con? A Tbilissi, certains immeubles de l'époque ont encore un ascenseur de l'époque et cet ascenseur est payant. Vaut mieux donc avoir toujours de la mitraille dans ses poches si on ne veut pas monter à pieds jusque chez soi!

Le brutalisme

Le brutalisme est souvent associé à ces constructions populaires. C'est normal, ce sont des constructions contemporaines l'une de l'autre, elles utilisent des matériaux similaires et en plus, elles ont pour la plupart la même situation géographique. Néanmoins, le brutalisme n'est pas la reproduction de logements en série. Ce sont des bâtiments tous indépendants les uns des autres. Et là, on retrouve l'idée de Guerre Froide, de l'opposition entre le bloc de l'est et le bloc de l'ouest. Dans de nombreux domaines, les deux blocs se font concurrence. Et comme on a tous•tes grandi•e•s dans le bloc de l'ouest, on a eu une éducation qui a présenté le bloc soviétique de manière assez négative. La réalité est différente. Par exemple, la recherche de confort et le fait d'offrir le confort au plus grand nombre est un point similaire entre le capitalisme et le communisme de l'époque. La différence se place dans la manière d'offrir et d'accéder au confort. C'est la même chose notamment pour la conquête spatiale. Je vous en ai parlé vite fait dans mon dernier Design & Histoire où il était question du style Googie aux Etats-Unis. Cette fois, on s'intéresse au même topique, c'est à dire la conquête de l'espace comme source d'inspiration dans l'architecture et l'espace urbain mais d'un point de vue soviétique / communiste. Cela prend des formes différentes. Une esthétique rétro-futuriste qui annonce le monde de demain (celui où l'on habiterait dans l'espace). On retrouve donc la contrainte de la fonction qui définit la forme et l'idée de modularité. En plus de cette vision futuriste, le brutalisme donne un écho tout singulier au béton. Ce n'est pas juste un matériau de construction, c'est un élément esthétique qui est violent, brut, minimal.

Le fonctionnalisme

Je reviens après sur les principales différences entre brutalisme et fonctionnalisme. Ce sont deux mouvements contemporains et qui s'influencent. Ils ont donc des similarités et des différences. Le moteur premier du fonctionnalisme est l'organisation du bâtiment et donc son esthétique suivent la fonction. Personnellement, je crois que je préfère le fonctionnalisme au brutalisme. Par exemple, une salle de concert va prendre une forme qui favorise l'acoustique. Dans le fonctionnalisme, il y a un sens dans le bâtiment que l'on voit à travers son esthétique. Il y a aussi des représentations plus douces, moins massives. Essayez de regarder un bâtiment brutaliste quand vous êtes à ses pieds, vous risquez d'avoir le tournis (j'ai testé à maintes reprises en Arménie comme en Géorgie). Cette sensation est moindre avec le fonctionnalisme.

03 • Début et fin du brutalisme

C'est un mouvement qui apparait après-guerre, soit après 1945. Il répond à deux points essentiels: le premier, la reconstruction puisque la guerre a fait des dégâts partout en Europe et dans le bloc soviétique. Le second point correspond plus à un besoin relatif à l'idéologie soviétique: un logement pour tous. Il y a donc des questions de vitesse d'exécution et de rentabilité qui entrent en jeu.

Or, le brutalisme ne se limite pas à la construction d'un logement pour monsieur et madame tout le monde. C'est aussi une réaction à ce qui le précédait. Et qu'est-ce qui précède le brutalisme? La dictature de Staline. Le style stalinien est souvent appelé "style impérial stalinien", "classicisme stalinien", "gothique stalinien". Rien que dans ces appellations, on voit bien qu'il n'y a rien de brut, de minimaliste ou de fonctionnel. Staline jugeait bon pour sa propagande de faire référence à un certain classicisme pour faire référence à la grandeur du parti, de la nation, toussa. Fin 52 Staline n'est plus (il meurt en 53), on peut passer à autre chose. Et c'est là qu'entre en jeu le brutalisme.

La fin du brutalisme se situe dans les années 70. Pendant la Guerre Froide, il y a eu plusieurs périodes de "dégel". La mort de Staline est le 1^er dégel. Il y a eu des mains tendues, des rencontres entre les dirigeants des deux blocs. On peut aussi prendre en compte le soulèvement de certains pays soviétiques, comme en 68 avec le "printemps de Prague" en Tchécoslovaquie. Ce sont des événements de l'histoire qui peuvent expliquer la fin de ce mouvement.

04 • Caractéristiques du brutalisme

La caractéristique la plus flagrante du brutalisme et l'utilisation des matériaux nouveaux de l'époque, notamment le béton brut, le métal et le verre. D'ailleurs, le nom de brutalisme représente justement la question de béton brut. Béton brut / brutalisme, vous voyez le rapport? Bref.

Autre caractéristique de ce mouvement architectural: la fonctionnalité. C'est un thème que j'affectionne particulièrement et j'aime voir les différentes manières dont la fonctionnalité est associée à l'architecture ou à l'architecture intérieure. Et ici, la fonctionnalité prend différentes formes. Dans les constructions destinées à tous, le fonctionnalité passe par le préfabriqué, des logements uniformes, petits et pratiques à la fois. Dans les constructions plus spectaculaires, les architectes tendent à faire correspondre le fond et la forme autrement dit l'utilité du bâtiment avec son apparence. Il n'y a pas de superflu ce qui pousse parfois à qualifier les constructions brutalistes d'austères.

Dans le brutalisme, les architectes tendent à tirer profit au maximum de la construction en préfabriqué, en usine. On va superposer des modules de béton. Cela offre un côté très massif aux constructions.

Ce type d'architecture se caractérise également par la couleur: du blanc, du noir, du gris. Cela contribue à l'idée d'austérité que l'on ressent mais aussi à l'absence de superflu propre au brutalisme.

05 • Différences entre le fonctionnalisme & le brutalisme

Le fonctionnalisme précède le brutalisme. On fait apparaître le fonctionnalisme à la toute fin du XIX^ème siècle. Et faire le lien entre l'esthétique et la fonction d'un objet ou d'un bâtiment est un moteur de réflexion pour plusieurs mouvements architecturaux et design. On peut évoquer le Modernisme, le Bauhaus ou encore le mouvement Minimaliste qui offrent un point de vue à chaque fois particulier à le relation fonction / esthétique. Le fonctionnalisme dure même après le brutalisme, du moins cette question d'associer la fonction et la forme perdure dans la démarche de certains designers et architectes.

Le fonctionnalisme contrairement au brutalisme est associé à certains pays plus que d'autres. C'est un style dominant dans  l’ex-Tchécoslovaquie (soit de nos jours la Tchéquie et la Slovaquie). L'architecture fonctionnaliste se retrouve également dans les pays scandinaves par exemple.

Les deux courants se rejoignent quant au fait de faire rimer l'apparence et l'utilité. Cependant, il y a peut-être une plus grande variation stylistique dans le fonctionnalisme des années 50 à 70. On est moins dans l'esthétique gros bloc de béton (sans âme pour certains) quand il est question de fonctionnalisme.

06 • Les principaux bâtiments du mouvement brutaliste

Constructions soviétiques brutalistes

Voici une liste succinctes de quelques bâtiments brutalistes présents des les pays de l'ex-URSS:

• L'académie de sciences de Moscou (Russie)
• La Maison des aviateurs à Moscou (Russie)
• Le cinéma Avrora à Krasnodar (Russie)
• Le Théâtre académique d'État de Tcheliabinsk (Russie)
• La Maison des Soviets à Kaliningrad (Russie)
• Le théâtre d'art dramatique Fiodor Dostoïevski à Novgorod (Russie)
• Le centre de robotique et de cybernétique à Leningrad / Saint Petersbourg (Russie)
• La Romanita Tower à Chisinau (Moldavie)
• Le crématorium de Kiev (Ukraine)
• Le complexe Trois Bogatyrs ou le complexe Aul à Almaty (Kazakhstan)
• Le complexe sportif et musical à Yerevan (Arménie)
• Le Crique d'Etat et maison des artistes à Dnipro (Ukraine)
• Le Nutsubidze Plato de Tbilissi (Géorgie)

Note sur les complexes résidentiels: Ce sont des constructions qui se ressemblent beaucoup d'un pays, d'une ville à l'autre.

La place de Le Corbusier dans le brutalisme

Le Corbusier s'incruste un peu partout quand on regarde de plus prêt les courants architecturaux de l'époque. Je vais annoncer la couleur tout de suite, je ne suis pas la 1^ère des fans de Le Corbusier. Vous savez, le dilemme à savoir s'il faut différencier l'artiste de l'homme, c'est mon problème avec l'architecte suisse naturalisé français. Et même s'il est un illustre personnage de l'architecture de l'époque et qu'il a une renommée mondiale, cela ne doit pas nous empêcher de nous souvenir qu'il était antisémite et pétainiste. Donc, je parle de lui parce que je me refuse de censurer son travail (comme je refuse tout autre type de censure) mais on ne va pas oublier que c'est un type avec des idées dégueulasses. Maintenant que ça c'est dit, voyons un peu son implication dans le brutalisme.

Tout le monde je l'espère voit à quoi ressemble le travail de Le Corbusier et je vous propose de regarder de plus près la Cité Radieuse. C'est une barre d'immeubles qui répond à un appel à projet dans le cadre de la re-construction. Cette cité est construite sur la base de cellules qui lui ont été inspirées après une visite d'un couvent. Une surface dépouillée avec uniquement l'essentiel. Comme pour les immeubles soviétiques, les cellules sont des espaces restreints (ici +/- 15m²) et il compose les hébergements avec plusieurs cellules. Autre point commun, l'utilisation du béton. En revanche, l'utilisation de la couleur est indissociable du travail de Le Corbusier. C'est peut-être grâce à cette couleur que ses constructions passent mieux que les bâtiments brutalistes qui sont teintés de blanc, de noir et de toute la palette de gris entre les deux. Autre exemple de construction brutaliste de Le Corbusier: la Haute Cour de Justice de Chandigarh (en Inde).

Des constructions brutalistes partout dans le monde

Je suis vraiment effarée par le choix de certains médias (ou de Wikipédia) de ne présenter qu'exclusivement des constructions hors URSS. Cette exclusion, cet effacement, je les trouve hyper dérangeants, très problématiques.

• La Maison de l'UNESCO à Paris (France)
• La bibliothèque Geisel à San Francisco (USA)
• L'église Wotrubakirche de Vienne (Autriche)
• Les "les Torres Blancas" de Madrid (Espagne)
• Le théâtre national de Taichung (Taiwan)
• Le Palika Kendra (qui abrite maintenant le conseil municipal) de New Delhi (Inde)

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