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Qui est Charlotte Perriand? Et pourquoi vous devriez la connaître? | histoire & design

Vous avez déjà remarqué la différence de traitement d'un sujet quand il s'agit d'un homme ou d'une femme (et pas juste dans l'univers de l'architecture ou du design)? Souvent quand il est question d'une femme, on nous ennuie avec des détails pas spécialement pertinents. C'est toute la difficulté de mon article. Laisser de côté les détails pas très intéressants pour voir ce qui mérite plus notre attention - soit le travail et l'oeuvre de Charlotte Perriand.

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Brève biographie de Charlotte Perriand

Fille d'un tailleur et d'une couturière, Charlotte Perriand est née 1903 (à Paris). Elle meurt en 1999 (à Paris). C'est une architecte, designer, architecte d'intérieurs, photographe et théoricienne de l'art.

Débuts de Charlotte Perriand - création de mobilier et reconnaissance

En 1920, elle entre à l'école du Comité des dames de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, elle est boursière. Elle prend différents cours en parallèle avec le directeur du Printemps, le directeur artistique des Galeries Lafayette ainsi que des cours de dessins (nus et animaux). Elle est diplômée en 1925.
Cette même année, elle expose pour la première fois à l'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. En 1926, elle crée un "coin salon" au Salon des Artistes Décorateurs. Cette contribution est composée d'un fauteuil, un guéridon et une bibliothèque-secrétaire.

Fin 1926, elle emménage dans un appartement avec son premier mari. C'est un ancien atelier de photographe qu'elle aménage. C'est dans cet appartement qu'elle crée Le Bar sous le toit. Elle a aménagé son hall d'entrée qui est un bar en acier tubulaire chromé associé des guéridons et tabourets de bar en cuir rose et violet. Elle reproduit son hall d'entrée et son mobilier au Salon d'Automne de 1927. Son installation rencontre un franc succès.

Collaboration de Charlotte Perriand avec Jeanneret et Le Corbusier

Note: Je ne peux pas blairer le personnage de Le Corbusier. Manque de pot, à cette époque, on le trouve partout et il est difficile de le zapper totalement. Et encore plus quand il est question de Charlotte Perriand. A la fin de cet article, vous trouverez plusieurs articles pour creuser le sujet et en apprendre plus sur Charlotte Perriand. Dans plusieurs d'entre eux, vous trouverez aussi différents exemples de la "goujaterie" (pour rester polie) de Le Corbusier.

La collaboration Le Corbusier / Jeanneret / Perriand va durer une dizaine d'années à partir de 1927. Quand elle postule chez Le Corbusier, elle va dans un premier temps se prendre un vent puisqu'il va lui répondre: "Ici, on ne brode pas les coussins". Quel charmant personnage ce Le Corbusier, n'est-ce pas? Il va cependant se rendre compte rapidement de son erreur de jugement en voyant le travail de Perriand. Grand Seigneur qu'il est, il va lui offrir le poste d'associée pour l’aménagement intérieur des maisons - poste non rémunéré. En 1928, elle devient responsable du mobilier et de l'équipement.

Pendant cette collaboration, il y a plusieurs choses à retenir. D'une part, une partie du mobilier créé par Perriand n'a pas toujours été crédité à la designer mais sous le nom de Le Corbusier. La "vérité" commence à être rétablie récemment. Certains croquis ont été retrouvés dans les archives de la designer et pas chez Le Corbusier. Son implication au projet présenté au Salon d'Automne en 1929 par exemple a été attribuée à l'Atelier Le Corbusier. Perriand n'est pas la seule lésée de son travail, celui de Jeanneret connait le même problème.

Autre fait à retenir sur cette collaboration, il y avait visiblement un véritable échange entre Le Corbusier et Perriand. Un échange intellectuel et créatif. Il avait compris que la designer avait des connaissances techniques et qu'elle ne manquait pas d'idées pour les mettre en pratique. Il avait aussi compris que Perriand lui permettrait d'apporter à ses habitations un côté humain.

Après la guerre, Perriand contacte l'architecte pour à nouveau travailler ensemble. Il refuse en mettant en avant le fait qu'elle était devenue mère et que sa place n'était plus dans un bureau. Elle va cependant travailler sur le projet des cuisines modulaires compactes de Marseille en 52 et il s'en attribuera tout le mérite.

Quelques créations (totales ou partielles) de Charlotte Perriand à l'époque de sa collaboration avec l'atelier Le Corbusier:

  • Chaise longe LC4
  • Fauteuil à dossier basculant LC 1
  • Fauteuil Grand Confort
  • Table LC 10-P
  • Tabouret pivotant LC8
  • Table à piétement ovoïde LC 6
  • Table extensible Ospite
  • Siège pivotant LC7
  • Guéridon en acier chromé et plateau de verre circulaire réalisé pour son appartement

Les voyages: sources d'inspirations pour la création

Premier voyage au Japon

Elle fuit l'arrivée des Allemands et part pour le Japon en automne 40. Perriand y restera jusqu'en hiver 42. Elle est invitée à être conseillère à l'art industriel pour le ministère du commerce et de l'industrie. Parallèlement, elle étudie le bambou et ses propriétés mécaniques. Elle utilisera ce matériau régulièrement parce qu'il est solide et flexible. Elle emploiera des techniques anciennes pour créer du mobilier moderne grâce au bambou. Perriand sera parfois qualifiée de "Madame Bambou".

Son séjour au Japon l'inspire à plusieurs niveaux. L'architecture populaire est fonctionnelle et économe ce qui va dans le sens de la construction pour plus grand nombre. Elle s'intéresse également aux objets traditionnels. Là aussi, ils l'inspirent pour créer des objets en série, accessibles à grande échelle.

Les tatamis pourraient sembler être un sujet à mille lieux de l'architecture. Cependant, leur organisation lui donne matière à réflexion, notamment pour la question de l'habitat modulaire.

Exil en Indochine (actuel Vietnam)

La designer fuit le Japon qui entre en guerre en 42 (à la fin de son séjour, elle est en liberté surveillée). Elle donne naissance à sa fille, issue d'un second mariage à cette époque. Au Vietnam (qui ne portait pas encore ce nom), elle doit se cacher des émeutes viêt-minh et du lynchage des français / européens.

Elle est rapatriée en France en 46. Il y a peu de détails sur son travail pendant cette période. Elle y travaille comme inspectrice des arts appliqués pour l'administration coloniale française (et on comprend mieux pourquoi elle craignait le lynchage des français).

Charlotte Perriand, crée en 1943, la chaise fauteuil Indochine conçue avec des matériaux et les techniques artisanales disponibles pendant la guerre d'Indochine. A partir de ce séjour, elle intègre dans ses créations des matériaux naturels du design indochinois.

Des créations rythmées et influencées par le voyage

Bien que le Japon ait une place toute singulière (elle y fera d'ailleurs un deuxième voyage en 55), la vie de l'architecte est rythmée par les voyages. Après le retour de la famille en France, le mari de Charlotte Perriand devient directeur d'Air France.

Elle voyage en Russie (2fois), en Allemagne, en Grèce, au Brésil... Chaque voyage inspire Charlotte Perriand. Elle s'intéresse aux cultures, à l'architecture locale, aux matériaux et savoir-faire et cela se retrouve dans son travail. Sa fille dira d'ailleurs: "Voyager faisait partie intégrante de son processus créatif".

Une dynamique créative représentative d'un engagement social

Charlotte Perriand n'a jamais été cartée au Parti Communiste mais en était proche jusqu'à s'en désolidariser à cause de la figure de Staline. Dans les années 30, elle rejoint l'Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires aux côtés, entre autres, de Gide ou de Breton.

En 1936, elle est l'autrice d'un photomontage de près de 16 mètre qui s'intitule: La Grande Misère de Paris. Cette fresque monumentale est présentée au Salon des Arts Ménagers. C'est un état des lieux visuels de Paris de l'époque, une ville bien trop petite (le Paris intra muros) pour les habitants, une ville qui cristallise les inégalités sociales via le mal-logement, l'absence de sanitaires, etc.

Tout on long de sa carrière et de sa vie, Charlotte Perriand a la volonté de créer du mobilier qui réponde à des besoins sociaux et pas uniquement à un désir d'apparat de bourgeois. A la période d'après-guerre (période de la reconstruction), elle cherche à concevoir du mobilier bon marché dédié au plus grand nombre mais la plupart de ses créations n'ont jamais atteint ce but et sont restée dans l'ordre de la création en petit nombre avec des prix réservés à un public fortuné.

A la veille de sa mort, la designer a demandé à sa fille de laisser accessible ses archives aux étudiants, chercheurs et exposants.

Mobilier designé par Charlotte Perriand

Elle fait partie des fondateur de l'UAM (l'Union des Artistes Modernes) où l'on retrouve: Prouvé, Le Corbusier, Pierre Barbe, Pierre Chareau, Sonia Delaunay, Eileen Gray, René Herbst, Robert Mallet-Stevens et Jean Puiforcat. L'UAM est la réponse française au Bauhaus allemand. D'ailleurs, elle rencontrera Gropius en 1930 et deviendront amis.

Parmi les nombreux meubles qu'elle a conçus, on peut se souvenir de:

  • La chaise longue basculante dite « Tokyo »
  • Le fauteuil double inclinable en tissus rouge et violet (produit qu'à un seul exemplaire)
  • Le mobilier pour résidence universitaire, notamment pour les chambres d'étudiant de la Maison de la Tunisie (52)

Alors que le travail de Perriand est souvent assimilé à l'atelier de Le Corbusier, on peut aussi penser à ses différentes collaborations avec Jean Prouvé. De leur travail commun, on trouve entre autres; le lit SCAL n° 450 à tablette pivotante dit lit Antony, les placards "Brazza" (1952), la table basse à forme libre (1956). Il y a aussi la table de bibliothèque éclairante créée pour la Maison de la Médecine, en 1951 (conçue avec Prouvé et André Salomon).

Plus haut dans cet article, j'ai noté qu'on appelait la designer "Madame Bambou" parce qu'elle s'est intéressé à ce matériau exotique (d'autant plus pour l'époque). Pourtant, je rejoins sa fille quant à l'utilisation de ce surnom qui n'est pas représentatif du travail de Perriand. Oui, elle a utilisé le bambou et le bois mais ce n'est pas tout. Le travail du métal se retrouve à chaque étape de sa vie. On a pu le voir avec le 1er projet qu'elle a porté et qui lui a valu une certaine reconnaissance (Le Bar sous le toit). On s'en rend compte aussi grâce aux collaborations avec Prouvé.

Charlotte Perriand et l'architecture

Architecture et architecture intérieure

J'aime mes articles Design & Histoire pour de nombreuses raisons. L'une d'entre elles permet de mieux comprendre les époques. Charlotte Perriand a traversé le XXème siècle et il me semble opportun de rappeler qu'au début de sa carrière, le droit des femmes était sensiblement plus limité qu'à notre époque. Créer du mobilier, créer des logements n'étaient pas des domaines féminins, loin de là. Cela n'a cependant pas empêcher Charlotte Perriand de créer des logements et pas juste l'aménagement de leur intérieur.

Avant d'aborder la question de l'architecture, on peut regarder La Maison du jeune homme pour l'Exposition Universelle de 1935 à Bruxelles par exemple. C'est une représentation de sa réflexion (avec Herbst et Sognot) sur ce qu'aurait été le logement d'un jeune homme cultivé et sportif de l'époque. Un logement étudiant où elle conçoit la salle d'étude.

Architecture, montagne et nature

Ce que je retiens des projets de l'architecte, c'est que plusieurs sont en lien avec la nature et parfois la montagne. Son projet probablement le plus connu est celui des Arcs entre 1967 et 1986. Elle crée des logements saisonniers qui épousent le relief de la montagne, qui offrent un intérieur pratique pour les skieur et une vue imprenable. En 2014, 33 appartements sont rénovés.

D'autres de ses projets sont emprunts de nature: la cabane préfabriquée en bord de mer (1934), la nacelle de montagne futuriste avec Jeanneret (1938). Il y a aussi la reconstitution d'un salon de thé dans les jardins de l'UNESCO de Paris (1993, elle avait 90 ans!)

Deux dernières choses pour mieux comprendre l'univers de Charlotte Perriand

La cuisine ouverte inventée par Charlotte Perriand

Vous connaissez la cuisine ouverte, oui, celle qu'on voit partout quand il est question d'aménagement de maison, celle qu'on appelle à tort la "cuisine américaine". Elle n'a rien d'américain puisque c'est un concept de Charlotte Perriand! L'architecte d'intérieur voulait une cuisine qui n'enferme pas la femme dans une pièce devant les fourneaux alors que tout le monde est dans le séjour. Elle a donc décidé d'ouvrir cette pièce et de réfléchir à tout ce qui s'y trouve pour créer un espace agréable.

Les premières cuisines ouvertes ont été créées pour les maison Loucheur en 1928, maison au bord de l’eau en 1934, chalets de 1936 et 1937 avant d'être un concept de cuisine-bar proposé à Le Corbusier pour l'unité d'habitations de Marseille. Ce dernier modifiera les plans de Perriand, les simplifiera mais gardera plusieurs éléments sans la créditer pour son travail.

Cette cuisine est de 4,8m2 et elle est en U. Elle est composée de blocs modulables préfabriqués. Tout dans sa conception est fait pour rendre le fait de cuisiner plus agréable. Il y a des rangements coulissants, des éléments modernes comme une cuisinière ou une glacière. Il y avait la volonté de rendre accessible cette cuisine au plus grand nombre et le réfrigérateur ne rentrait pas dans cette démarche financière et bon marché.

Son amitié avec Fernand Léger

En faisant mes recherches pour préparer cet article, Fernand Léger est souvent apparu. J'aime espérer que tout le monde le connait. C'est un artiste français, peintre, sculpteur... qui a étonnement un diplôme d'architecte mais qui n'en a jamais fait son métier. Cubiste, certaines de ses oeuvres sont qualifiées de "tubistes". Cela me fait sourire et surtout penser à l'utilisation des tubes métalliques comme structure de meubles que l'on peut retrouver chez Perriand. Outre cette "coïncidence" / accointance, l'amitié entre les deux va plus loin.

Ils se rencontrent en 1930 et Léger fera partie de l'UAM. Perriand invite régulièrement Léger dans son travail. Par exemple dans le projet La Maison du Jeune Homme, Fernand Léger peint une fresque murale dans l'espace salle de sport. Fresque à la gloire du sport. Il crée une autre oeuvre pour l'espace imaginé par Perriand, oeuvre qui sera accrochée sur "le mur de collection". Aux yeux de Perriand, l'art doit être partout et faire partie du quotidien. Quand elle expose, elle fait donc régulièrement appel à ses amis artistes (comme Fernand Léger). Cette rencontre des deux mondes c'est aussi produite avec le fauteuil pivotant B302 et la peinture L'Ère Machine.

Pour en savoir plus sur l'oeuvre de Perriand

SABATO - LA DESIGNER-ARCHITECTE FRANÇAISE CHARLOTTE PERRIAND SORT ENFIN DE L'OMBRE
AD Magazine - La modernité selon Charlotte Perriand
Cassina - CHARLOTTE PERRIAND
MAD Paris - CUISINE-BAR POUR L’UNITÉ D’HABITATION DE MARSEILLE, 1952
Le Monde - "Charlotte Perriand et le Japon", de Jacques Barsac : un oeil ouvert sur le Soleil levant
Galerie 54 - Charlotte Perriand - Jean Prouvé - Placards "Brazza" (1952)
Gagosian - THE NEW WORLD OF CHARLOTTE PERRIAND
The Modern House - How Charlotte Perriand pushed the boundaries of design
The Architectural Review - Charlotte Perriand (1903-1999)
The Guardian - Charlotte Perriand: the design visionary who survived Le Corbusier's putdowns
Christie's - The art of living: 10 things to know about Charlotte Perriand
The New York Times - Charlotte Perriand, Stepping Out of Corbusier’s Shadow


qui est charlotte perriand design francais portrait découverte démarche créative lien Le Corbusier
nytimes.com

2 commentaires

  1. Super article ! Très riche en informations, remises qui plus est dans le contexte.

    Je me suis fait une remarque durant cette lecture, (pas qu’une clairement, mais celle là, elle me fait marrer) : « c’est fou le hasard quand même que le Corbusier rime avec fumier !  »

    1. Author

      tes mots me touchent beaucoup… Les articles design et histoire me demandent toujours beaucoup de préparation et ce n’est pas toujours facile de trier toutes les infos. Ta remarque est parfaite! La prochaine fois qu’il va se pointer dans mes recherches, je repenserai à tes mots! 🙂 Bisous

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