[Design & histoire] Le style colonial, un décor exotique et suranné

01 • Le style colonial se réfère à quelle époque?

Pour la France, il y a deux époques qui référent à l'empire colonial. La première se situe au XVIème siècle. La seconde période se situe dans la première partie du XIXème siècle et globalement c'est à cette période dont on pense quand on parle du style colonial en décoration intérieure. La France est le 2ème empire colonial après le Royaume Uni au XIXème siècle. Cela implique une présence française en Afrique, en Asie et en Océanie.

02 • Des différences de style selon le pays colonisé

Il n'est pas juste question de faire un voyage dans le temps quand on parle de style colonial, on fait aussi un voyage physique. C'est un peu comme le style bohème ou le style ethnique contemporain qui nous font voyager dans des pays lointains. Au travers de mon mode de vie, même si je voyage essentiellement en Asie, j'ai pu remarquer que le style colonial - même si on reste sous l'influence française - n'est pas le même d'un pays à l'autre. Le style colonial à Pondicherry n'est pas le même que celui de Luang Prabang. Pas tout à fait le même. Dans cet article, je vais peu parler des pays d'Afrique parce que je n'y ai pas voyagé mais le style colonial moderne peut aussi s'inspirer de ces pays au-delà de la Méditerranée qui ont été aussi colonisés. Les différences d'un pays à l'autre peuvent s'expliquer de différentes manières. Niveau architecture, il faut prendre en compte le climat (les constructions ont généralement été faites pour moins souffrir de la chaleur en Asie) mais aussi les matériaux disponibles sur place. Niveau décoration, la culture du pays entre en ligne de compte. On trouve généralement un mélange entre les meubles et accessoires ramenés par les colons et les meubles et accessoires locaux.

03 • Des différences de styles selon le pays colonisateur

Même si sur l'année qui vient de s'écouler, j'ai essentiellement vécu dans des endroits qui avaient été sous protectorat français, au cours de ces 6 dernières années, ça n'a pas toujours été le cas. Le plus flagrant est l'Inde où selon la région où l'on se trouve, on aura des différences notables quant à l'architecture coloniale. Entre Bombay qui donne l'impression d'être dans une Angleterre victorienne avec un climat bien plus ensoleillé, Goa ou le Kerala avec des églises portugaises ou encore Pondy qui fut français et qui en garde la trace dans un petit quartier aux abords de la mer... Ce sont des univers et influences radicalement différents. Il y a eu d'autres pays colonisateurs en Asie qui ont parfois laissé une trace dans l'architecture. Je pense notamment à l'influence chinoise que l'on trouve en Malaisie avec les shop house, des maisons très profondes et peu larges avec parfois un puit de lumière au centre de l'habitation, une jonction entre la surface commerciale et l'habitation à proprement dit. Le style colonial moderne en décoration a tendance à effacer ces distinctions propres à chaque pays colonisateur.

04 • Plus proche de l'Europe, une influence culturelle

Sans forcément parler de colonisation, en voyageant notamment pendant la période de covid, on s'est rendu compte que l'influence de l'Europe pouvait encore se voir par exemple en Egypte ou en Turquie. En Egypte, nous avons vécu plusieurs mois dans le quartier appelé "Downtown" qui est un quartier marqué par une architecture très XIXème. Je vous en parle ici. En Turquie, en plus de l'architecture, on retrouve un rayonnement français transmis grâce à la langue. Pendant longtemps, le français a été la langue administrative du pays et a été enseignée à l'école. On retrouve donc du français sur certains bâtiments. Ce n'est pas une marque de la France comme colon mais la France comme référence.

05 • Un héritage à plusieurs niveaux

Le style colonial dépasse la sphère déco. Il y a d'abord une idée d'héritage local. Héritage plus ou moins bien conservé, plus ou moins accepté localement. Pondicherry, ce sont essentiellement des maisons individuelles dans le quartier français et quelques bâtiments administratifs. Il y a néanmoins des associations et structures qui oeuvrent à la préservation de ce patrimoine. C'est le cas par exemple de Les Amis du patrimoine pondicherien ou encore VMF (Vieilles Maisons Françaises) qui a un champ d'action mondial. A Bombay, ce sont des bâtiments parfois publics et pas uniquement des maisons individuelles ou des édifices religieux. La gare de Bombay fait partie du patrimoine mondial protégé par l'Unesco. D'ailleurs, j'écris cet article depuis Luang Prabang, ville Unesco pour faire simple. L'Unesco a le travail de préserver, à la fois l'héritage architectural local (des maisons en bois, les temples) et l'héritage colonial du XIXè et XXè (maisons, réseau routier...), avec toute une série de réglementations qui est à respecter. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'immeubles de 3 étages ou plus dans Luang Prabang par exemple. Et parfois, outre les associations ou l'Unesco, ce qui fait qu'une maison coloniale est préservée, ce sont vos impôts. Une petite plaque est posée sur la façade pour remercier telle ou telle région de France pour la rénovation du bâtiment.
L'héritage architectural est bien plus facile à préserver que l'héritage décoratif. Il y a 6 ans, je n'y faisais pas spécialement attention (j'avais suffisamment à découvrir...), maintenant mon regard est un peu différent surtout dans des bleds où je vis plusieurs mois ou quand on y revient encore et encore. J'ai beau cherché dans les différents endroits où nous avons vécu, il y a peu de meubles à l'esprit colonial comme on l'entend dans mon quotidien. Ce qui est peut-être le plus flagrant notamment dans l'ancienne Indochine c'est l'utilisation des carreaux de ciment. Que ce soit à Hanoi ou à Luang Prabang, on en a vu dans quelques maisons individuelles. A côté de cela, on peut évoquer les hôtels et restaurants qui jouent la carte de la déco coloniale. Ce sont bien souvent des espaces qui ne sont pas dans nos moyens et pour lesquels j'ai peu de curiosité. Ce sont des espaces décorés la plupart du temps avec une dynamique de déco coloniale moderne, autrement dit l'idée qu'on se fait à ce jour de ce qu'était la déco coloniale au siècle passé. Il n'y a qu'à Chennai où on a l'impression de vivre hors du temps dans une époque révolue. On s'arrête à chaque fois dans un lodge qui date de 1951. Dans les chambres, la décoration est très sommaire mais la réception est une pépite de décoration coloniale à l'indienne. "Un peu le bordel" avec des objets hors du temps. On y trouve des fauteuils en cannage, un vieux tableaux où sont accrochées les clefs des chambres, etc.

06 • Le Style colonial moderne, une version idéalisée de ce qu'était la vie au quotidien dans les colonies?

Si vous suivez mes stories sur Instagram, vous n'êtes pas sans savoir qu'il fait chaud en Asie (enfin, en ce moment, ça passe!). Mon crédo peu glamour: "Je sue donc je pue" n'est pas un mythe et j'ai la chance de vivre avec l'électricité et au moins un ventilateur dans ma chambre. Cette question de l'électricité n'est pas juste anecdotique. Quand on parle avec de vieux expats ou voyageurs en Inde, il est fréquent que l'on parle des pannes d'électricité qui étaient longues et fréquentes il y a encore une dizaine d'années. Vous imaginez un peu le calvaire des gens (locaux comme colons) au XIXème siècle juste avant la période de mousson... C'est pour cela par exemple que les anglais partaient "en vacances" dans l'Himachal Pradesh, région plus fraiche en été. Autre exemple, le cas de la moustiquaire. Quand on pense au style colonial, on pense souvent au lit à baldaquin avec de jolies moustiquaires blanches au dessus. La moustiquaire n'est ici pas un simple accessoire décoratif. Les moustiques sont encore et toujours une réalité mortelle en Asie. (J'ai quand même de l'anti-moustique dans mon sac à main...)
Malgré mes études de Lettres, mes connaissances sur la littérature française à l'époque coloniale est assez limitée. Néanmoins, il y a un roman que l'on connait toutes et tous au moins de nom qui m'interpelle pour écrire ce paragraphe. C'est bien entendu L'Amant de Marguerite Duras. Si vous n'avez pas lu le roman, vous avez peut-être vu le film. Quand on était au Vietnam, j'étais tombée sur une vidéo sur Youtube avec "une visite" de la maison de l'Amant. Il n'est pas question ici d'une version idéalisée de l'Indochine mais du rapport entre réalité et fiction qui est intéressant. La guide explique par exemple que dans la maison originelle, il n'y avait pas de carreaux de ciment. Ils ont été importés de France quand la maison a été rénovée pour en faire un musée. Le fun fact c'est que Marguerite Duras n'a jamais mis les pieds dans cette maison qui était celle de l'Amant et par la suite celle de sa famille (après la romance). Les films autour de la guerre du Vietnam par exemple sont aussi un témoignage singulier de la réalité proche de l'époque coloniale (indépendance du Vietnam en 1946, guerre du Vietnam 1955). Mais là aussi, c'est une réalité qui est romancée qui est mise en image, même si on voit les soldats souffrir des conditions météos notamment en période de mousson, on les voit aussi parfois dans les villages et les villes. Mais ce ne sont que des décors mis en scène pour la narration.

07 • Style colonial ou orientalisme?

La différence entre les 2 styles est d'abord une question d'époque. Comme on l'a vu, le style colonial réfère à deux périodes de l'histoire (le XVIè et le XIXè). L'orientalisme lui correspond au XVIIIème et le tout début du XIXème. Par ailleurs, l'orientalisme est "plus complet" comme un mouvement qui touche aussi bien l'art pictural, la littérature, la mode ou encore l'architecture. J'ai évoqué la Turquie et l'Egypte plus haut mais dans le côté européen qui avait été laissé chez eux. Ce sont des pays qui ont aussi beaucoup inspiré. D'abord, il y a eu l'empire Ottoman (bien plus vaste que la Turquie actuelle) puis les expéditions d'Egypte par Napoléon III (1798-1801). L'orientalisme s'inspire des mouvements artistiques et culturels que l'on trouve de l'Egypte au Caucase. En architecture, il y a encore des vestiges de ce courant quand il n'a pas été détruit par la guerre. Je vais parler de Dunkerque (parce que j'en viens), avec l'exemple le plus flagrant que sont Les Bains Dunkerquois. La façade a été rénovée il y a quelques années. On y trouve de la mosaïque, des lions, une entrée archée qui fait voyager. Le bulbe torsadé surplombant l'entrée rappelle sans hésitation les bulbes orientaux. On y trouve aussi des motifs typiques comme des palmettes, des décors floraux, des torsades... Si vous vivez dans le sud, près de la mer, vous devriez aussi retrouver ce genre de bâtiments orientalistes puisque c'était "à la mode" pour les espaces hygiénistes de l'époque (un mélange d'Art déco et d'orientalisme). Pour tout ce qui relève le décoration, on est plus dans un esprit de collectionneurs. Un jour, j'écrirai un article dédié à l'orientalisme. Pour le moment, ce n'est pas tout à fait le sujet. Les deux styles, colonial comme orientaliste, sont comme des cousins ou une continuité éventuelle.

08 • Les expositions universelles et autres salon pour la diffusion de l'art colonial

Si à notre époque on a internet qui ouvre les portes à toutes sortes de connaissances et découvertes. A l'époque des colonies, c'est un peu différent. Il y a eu différents événements qui ont permis d'abord aux riches puis au peuple de découvrir les objets, les us et coutumes fantasmées des pays colonisés.
La première exposition coloniale française, c'est l'Exposition Universelle de 1889 à Paris. C'est à l'occasion de cette expo universelle qu'est construite la Tour Eiffel. L'esplanade des Invalides est dédiée aux expositions coloniales (et du ministère de la guerre puisque c'est assez indissociable). Cela a été l'occasion de recréer de toute pièce des monuments que l'on voit dans les colonies comme une pagode d'Angkor au Cambodge. Il y a deux buts principaux à cette section de l'exposition universelle de Paris. La première montrer au reste du monde la puissance française (et faire peur à celui qui voudrait entrer en guerre). La seconde est patriotique c'est à dire faire adhérer le peuple à la colonisation. Ces expositions devaient montrer au peuple qu'il fallait civiliser ces peuples barbares. Tout le monde connait Jules Ferry, il a dit: « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Sympa non?
Avant les expositions il y avait le salon colonial. C'est une démarche de particulier qui donne à voir ses collections privées (on peut poser la question du pillage pour certains objets pour créer des collections mais c'est un sujet que je laisserai en suspend). On y trouve à la fois des objets précieux considérés comme art notamment pour l'Asie, pour l'Afrique et l'Océanie, ce sont plus des objets appelés usuels. Ces salons montrent l'inhabituel, le surprenant... Comme un spectacle créé par des objets éclectiques - tous mélangés de par leur provenance (on peut y trouver des meubles Louis XV), mais aussi un mélange d'objets luxe et usuels... C'est la naissance du Cabinet de curiosités. Et ces salons sont essentiellement dans des villes portuaires où arrivent les bateaux en provenance des colonies. Ce sont des collectionneurs (scientifiques, marins, commerçants) qui prêtent les objets ramenés d'ailleurs. Avant d'être exposé dans un salon ou une expo, l'objet relève de l'intime, dans le cadre privé de l'habitation.
Par la suite, il y a eu les sections coloniales. On y montre l'objet colonisé, sous domination française. Il y a une volonté de propagande institutionnelle qui défend la colonisation avec une mise en scène didactique et populaire. L'exposition d'objet fait voyager mais aussi montre la richesse de l'empire colonial. On perd le côté rare, luxueux, la symbolique religieuse pour un côté plus commercial c'est à dire la richesse du pays colonisateur à travers ce qui a été ramené du bout du monde. L'objet devient un instrument de l'impérialisme. Pas uniquement à Paris. A Marseille par exemple en 1906, la tour de l'Annam (Vietnam / Indochine) est reconstruite.
Si vous trouvez déjà dégueulasse ce qui précède, accrochez vous bien puisque dans certaines sections on y trouvait des zoos humains, un village ethnographique qu'on appelle aussi "village nègre" (même si les zoos humaines ne mettaient pas en scène que les africains). L'idée ici était d'animer des objets inanimés avec une mise en scène des êtres humains. Cela permet de replacer l'objet dans un univers familier et on perd une dimension dangereuse pour pousser l'européen à s'expatrier.
Toujours dans l'idée de diffusion, sont nés les jardins tropicaux, notamment celui de Paris (bois de Vincennes) construit en 1899. Ils ont pour but de faire des recherches pour accroître la production des espèces dans les colonies. On y trouve des représentation de monuments venus d'ailleurs notamment vietnamienne. Le jardin agronomique de Paris a accueilli notamment en 1907 une expo coloniale avec différentes sections et des zoos humains pour créer du spectacle pour les visiteurs.
Si le sujet des expositions d'objets coloniaux vous intéresse, je vous recommande un extrait de colloque: La place de l'objet exotique dans les "expositions coloniales" françaises (1850-1900) : impact sur les regards.

09 • Quid du style colonial moderne?

Si vous arrivez ici pour trouver des inspirations pour votre déco, jusqu'à présent vous avez peut-être été un peu déçu(e). Dans l'absolu, je trouve ça quand même un peu mieux de savoir d'où vient une tendance, un style plus que de copier ce qu'on peut voir ailleurs ou en ligne. Une démarche un peu plus éclairée. Mais passons au pan moderne, contemporain de la déco coloniale.

• Matériaux et textiles: Des bois exotiques comme le teck ou encore le bois de rose (qui est résistant aux termites par exemple). On va aussi trouver du rotin, du bambou. Comme le style colonial est emprunt d'une histoire passée, on évite le plastique qui ne vient pas de cette époque. On sera plus sur du métal précieux ou non. Le parquet foncé est aussi un élément typique de ce style déco. On aura, au niveau des textiles, des voilages blancs qui rappellent les moustiquaires. J'en ai parlé plus haut.
• Couleurs: On est souvent sur une palette de couleurs claires. Le blanc, le beige sont des couleurs qui n'absorbent pas les rayons du soleil. Ce sont des couleurs qu'on associe facilement à l'habillement des colons (pour avoir moins chaud mais aussi se démarquer des populations locales).
• Techniques: le cannage, le tissage pour les textiles. Ce genre d'artisanat est encore d'actualité. Si vous voyagez en Asie, vous pourrez en ramener facilement.
• Mobilier: Des malles de voyage, des fauteuils clubs (colonie anglaise), des ventilateurs au plafond avec de grandes pales...
• Avec le style tropical qui a eu le vent en poupe ces dernières années, on peut penser à des motifs végétaux mais en petite dose. On peut aussi penser à décorer les murs avec des esquisses venues d'Asie qui représentent les paysages, les monuments, des animaux exotiques, des scènes de la vie quotidienne. Pensez aussi aux techniques artistiques des pays qui ont été colonisés comme l'encre de Chine.
• Si vous aimez voyager, c'est l'occasion de ramener une partie de votre décoration. Je pense par exemple au chapeau "chinois" que l'on voit partout au Vietnam et qui protègent aussi bien du soleil que de la pluie. La vitrine en bois peut mettre en scène des objets venus d'ailleurs comme l'idée du cabinet de curiosités et du salon dont je parlais plus haut. A l'image des salons et expositions du XIXè, on va avoir un éclectisme, un mélange des provenances d'objets qui réfèrent au colonialisme. Sur les marchés à touristes en Asie du Sud-Est, vous trouverez aussi un vaste choix d'affiches et cartes postales avec des bonzes, des paysages et autres spécificités locales.

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